Charles est parvenu à faire, pour ainsi dire d’une traite, le tour du mont Blanc à Solex ; un exploit dont je vous livre étape par étape le récit détaillé !
Dans ce quatorzième extrait de son compte-rendu complet, notre camarade nous décrit l’étape qui l’a conduit de Champex-Lac au col de la Forclaz (26,5 km / 1100 m D+ / 970 m D-), durant son tour du mont Blanc à Solex, et la panne (aussi inattendue que regrettable) s’étant imposée sur ce tronçon :
« Je sors sans soucis de Champex-Lac, et attaque alors le dénivelé négatif de quasi mille mètres qui m’attend derrière. Je remarque que – fidèle aux mœurs de ses autochtones ? – la campagne suisse est nickel, tirée à quatre épingles. Pas de précipitation ! Je modère ma vitesse dans les descentes… Ce n’est pas le moment de me mettre dans le fossé.
Repérée une semaine auparavant, je sais que cette portion sera coton. Aussi je profite du vent, sachant pertinemment ce qui m’attend dans un instant. Il est 11h00 et le soleil tape déjà bien fort. J’arrive dans le bas du col de la Forclaz, et là, comme je m’y attendais… Moi et mon Solex nous prenons un mur dans les dents !
Sous cette chaleur accablante, l’engin ne parvient même plus à me tracter dans la montée. Ainsi un chemin de croix commence. Je descends de mon fidèle destrier, le pousse, moteur au ralenti… Et c’est long ; très long ! Les virages s’enchaînent, et je pousse, encore et toujours. Puis à un moment, comme pour dire stop aux bas régimes, la mécanique paraît se noyer.
Enfin, c’est ce que je suppose au départ. Néanmoins je n’arrive pas à redémarrer ma machine. Or au milieu de ce décor, je peux tenter la poussette :
- Soit en revenant sur mes pas (mais il me faut regrimper ensuite) ;
- Soit dans le sens de la montée (une mission pratiquement impossible) ;
- Soit encore en travers de la chausée (alors sur quelques mètres seulement).
Dans ces conditions, le monocylindre reste muet. Une véritable punition !
Un seul choix : celui de jouer la bête de somme. Je jette un œil à la cartographie. Une fois ; deux fois ; trois fois… Mais putain, je fais du surplace !? La pente est relativement courte cependant si fichtrement raide, que le GPS peine à m’indiquer précisément ma position. Psychologiquement, c’est difficile. Je m’étais bien préparé à souffrir un peu, mais là, cela semble interminable.
Je ne sais plus depuis combien de temps j’erre dans ces lacets… Je m’accroche et me motive autant que je peux. Toutefois cela devient compliqué, très compliqué, de rester calme. J’alterne entre les côtés droit et gauche de la route, à la recherche du moindre centimètre carré d’ombre. D’après la carte je suis bientôt arrivé. Plus qu’un virage et c’est bon. Alléluia ! Je l’ai fait !
Un coin de parking se dévoile en haut de la côte. Je m’y installe pour démonter la bougie, ainsi que la vis de purge pour vider le bas moteur. Je pousse mon Solex, à bout de force. Je remonte le tout, pousse à nouveau, et… Rien ! Impossible de le relancer. Soudain, entre deux vertiges, l’idée me vient de jauger le réservoir. Vide. Grand moment de solitude sous la canicule…
Un peu de carburant, et ça repart comme en quarante. Depuis le départ, j’ai constaté que cet engin fonctionnait mieux avec un fond d’essence qu’avec le plein. Aussi je faisais régulièrement l’appoint en Marline… Je n’en reviens pas d’avoir subi ce calvaire en raison d’une bête panne sèche ! Mais sans perdre plus de temps j’enfourche ma machine.
Pour tomber sur un panneau affichant :
– "Sommet du col de la Forclaz ~ 6 km"Moi qui pensais en avoir enfin fini avec ce passage, c’est une claque monumentale que je reçois ! En réalité je n’ai pas parcouru la moitié du col. A cet instant, je crie de rage avec l’énergie qu’il me reste. Et, je l’avoue, l’idée d’arrêter la première camionnette qui passe par là me traverse l’esprit. Pour mettre un terme à cette histoire ; et à ce maudit col en particulier…
Cependant je me ressaisis vite. Relever ce défi, et parvenir à terminer la boucle prévue, c’est une chance unique. Même exténué je ne peux la gâcher. Aussi je prends sur moi. Ainsi il me reste six bornes à encaisser pour atteindre le sommet ? Soit ; chaque nouveau panneau franchi constituera une victoire atténuant la pénibilité du compte à rebours.
Il faut se souvenir qu’à Orsières, j’ai récupéré cinq litres de Marline, que j’ai ajoutés au bidon transporté depuis Les Saisies. Si bien que j’en suis rendu à trimbaler huit litres d’essence… Pour rien ; puisque l’arrivée se trouve à moins de soixante kilomètres. Et quelques huit kilos, à ce stade, ça pèse. Tandis que je dois encore pousser dans certaines montées.
Premier panneau ; deuxième panneau ; troisième panneau… Je donne ce qu’il me reste de jus, et dépasse le quatrième panneau, rincé. Finalement, je me résous à abandonner en chemin la nourrice arrimée à mon porte-bagage. Cela facilitera mes tentatives de redémarrage. Dernier panneau ; dernier kilomètre. Mon brave Solex accepte de m’y conduire.
Libéré ! Me voilà enfin sur la crête, après une épreuve qui s’est révélée pire que je n’avais imaginé. Il est maintenant 13h00, et j’en aurais donc souffert deux dans cette ascension interminable. Sous un soleil de plomb. J’hésite à plonger dans le bac de la fontaine comme s’il s’agissait d’une piscine. Mais je me cantonne à me passer la tête sous le bec pour me rafraîchir.
Je remplis mon CamelBak et reprends la route sans plus attendre, par crainte de mollir.
Cap sur Chamonix. »