Aujourd’hui on vous livre un témoignage rare et précieux, celui d’un fils toujours au coude-à-coude avec son père dans le championnat belge de moto classique… GÂÂÂÂÂZ !
Parait que les gens ne lisent plus, pas même sur Internet, qu’ils ne s’intéressent plus qu’aux images, à la photo ou à la vidéo… Pourtant, je prends le pari que vous allez plonger dans le texte qui suit ! On y cause de bécanes « à l’ancienne, piégeuses, bruyantes et caractérielles », bien évidemment, mais aussi d’arsouille et d’héritage, de transmission père-fils. Vous connaissez Marco, le daron ? Et Max, le fiston ? Ensemble ils tiennent ce fameux relais motard dont je vous ai déjà parlé : La Cloute, une institution dont on a fêté le printemps dernier les cinquante balais !
L’établissement est traditionnellement ouvert les week-ends, sauf quand a lieu une épreuve comme les « Chimay Classic Bikes ». Et pour cause : nos camarades participent tous deux au championnat organisé par le CRMB (pour « Classic Racing Motorcycles Belgium »). C’est d’ailleurs dans le canard de cette asso qu’a d’abord été publié le texte que l’on partage avec vous ici ; il s’agit de souvenirs et faits de course qui remontent à l’été 2018. Cette année-là, encore, notre duo de fous du guidon avait fini la saison sur les plus hautes marches du podium…
Premier du « Groupe 1 », en catégorie « Vintage » : le #54 Marc Delaunoy, avec sa BSA de 1939 propulsée par un puissant 500 alu soigneusement préparé. Second dans la même classe : le #21 Maxime Delaunoy, avec sa BSA de 1947 dotée d’un compétitif 500 fonte lui aussi optimisé. Avouez que ce n’est pas banal ! Allez, venez donc avec nous au pays des bières trappistes, vous immerger dans les effluves d’avgas 105… Max nous invite à bord de sa fidèle « Dragonfly » :
« Pour cette édition 2018 des "Chimay Classic Bikes", il va falloir libérer un peu de place dans les camionnettes… En effet, Papa vient de mettre au point un nouveau mulet BSA doté d’un cadre M23 très propre, et d’un moteur aluminium aux composantes laissant supposer de belles perfs ! Le but de cet engin : jouer les remplaçants si d’aventure l’une de nos bécanes habituelles devait déclarer forfait durant le week-end. Nous sommes tous les deux très impatients de revenir sur ce "circuit des frontières", pour y revoir les amis, et surtout… Rouler !
Nos Anglaises sont des rêves à piloter, et incarnent à nos yeux l’essence même de la machine classique : une fourche à parallélogramme qui "rentre" dans la moto à chaque freinage, une roue avant de vingt-et-un pouces qui semble n’en faire qu’à sa tête et demande une certaine confiance de la part du pilote, une suspension arrière inexistante, un monocylindre caractériel nécessitant une oreille très attentive pour respecter le bon régime, des vibrations capables de démonter le tout en à peine deux manches, et un freinage qui, plus que n’importe quelle religion, amène souvent à prier…
On aime ces motos pour leurs défauts, pour leur rudesse. Chaque course s’apparente à un duel entre l’homme et la machine. Rien n’est simple ; de la mise en route à la mise sur l’angle, tout requiert expérience et sagesse. Les erreurs, ici, ne se rattrapent pas par le concours d’une divine innovation ! Ces bécanes sont des animaux sauvages, capricieuses, il faut les dompter.
Le pilote est donc contraint d’adopter des positions parfois étranges, pour répartir sa masse selon les trajectoires afin d’appuyer la direction ou la propulsion. Son cuir glisse alors de la selle vers le tansad, le pouf à l’arrière, pour revenir d’un côté ou de l’autre en diagonale, et ainsi de suite… Bref, on parle d’engins qui rendent humble, sur lesquels rien ne peut être laissé au hasard. Il faut impérativement éliminer toute inconnue des parties cycle et mécanique, tant la difficulté est déjà présente de base.
Vous l’aurez compris, la catégorie "vintage" est un univers un peu particulier qui exige d’avoir plusieurs cordes à son arc.
Mais revenons-en à Chimay : première session du week-end, le temps est beau, la piste sèche, ma moto ronronne dans le parc fermé ; j’attends… Filtres auditifs et casque en place, combi encore ouverte jusqu’au nombril, gants posés sur le réservoir bordeaux et or ; je regarde le ciel en miroir sur mon bouchon chromé, une vieille habitude. Tout semble normal, et pourtant je ne vois pas mon père. Je cherche, je questionne, et soudain mon pote Mathias me glisse que Marc a un problème d’embrayage, que sa bécane vient de se coucher en prise à l’entrée. Stupéfaction ! Il serait remonté prendre le mulet ; à peine arrivé qu’il va servir, celui-là…
Et en effet, je le vois arriver sur cette machine à peine née, se poster avec à mes côtés sur la ligne de départ ; in extremis ! Dorine fait ses petits pas chassés si craquants et s’efface derrière le rail ; quinze secondes. Première enclenchée au pied droit, pied gauche au sol, main gauche serrée sur la poignée d’embrayage, main droite sur les gaz se plaçant au régime idéal ; dix secondes. Le regard est fixé sur la tribune du directeur de course, et notre si beau drapeau national ; cinq secondes. On peut sentir le sol trembler, les cœurs semblent même retenir leurs battements… Et puis c’est la libération des corps et des mécaniques, dans un lourd hurlement de soupapes !
La première est poussée jusqu’à 6000 tr/min, la deuxième rapidement verrouillée, et aussitôt il faut se déporter sur la gauche pour préparer le premier virage à droite. La troisième un court instant… Papa a pris un très bon départ, il est déjà aux avants-postes ! Il me tient en respect d’un bon vingt mètres ; allez ! Maintenant il convient de se concentrer. J’accroche tous mes rapports consciencieusement, affine ma position, laisse le moteur travailler dans la longue ligne droite avant le deuxième abri bus… Le panneau "100 m" se détache sur ma gauche, il est temps de freiner pour s’engager dans l’entrée de la chicane.
La trajectoire est bonne, et je parviens à reprendre dix mètres ; mais il me domine clairement à la relance vers le haut du circuit. Là-bas, il n’y a quasiment pas de public et le macadam est assez dégradé. La moto saute et cherche sa route. J’utilise alors tout le poids de mon corps pour asseoir la machine dans la courbe Beauchamp, et dévaler la descente Vidal où je suis ramassé sur mes commandes. Je pousse la troisième et la quatrième en longeant le rail, à quarante centimètres tout au plus. Les spectateurs reculent promptement sur notre passage ; ça défile !
J’amorce mon freinage pour la chicane de chez Armand, et me voilà dans sa roue arrière. Il est large, je tente l’intérieur ? J’hésite une seconde de trop ; non, je n’ai pas assez d’espace. C’était pas loin, tant pis. Son échappement me rugit à la figure, en entamant la deuxième partie de la descente vers la porte de Mons, quand soudain, un concurrent embarqué se glisse devant moi et se lance à la poursuite de mon père ! Une Triumph Speed Twin, quand ça marche, ça marche fort. Me voilà relégué au rang de témoin du duel pour la première place…
Le bicylindre accélère puissamment et s’éloigne sensiblement de nos deux BSA. C’en est trop, il faut réagir ! Dans un mouchoir de poche tous les trois nous bouclons le premier tour. Cette fois, à moi de jouer. Je tente un freinage plus tardif encore et me positionne au milieu de la piste, laissant mon vieux sur la partie cyclable. De cette manière je l’oblige à élargir sa trajectoire, et lui envoie dans la poire les vociférations de mon mégaphone en plein rétrogradage. La suite de la manche reste tout aussi tendue entre nous, tandis que notre adversaire gagne peu à peu le large.
Tantôt à droite, tantôt à gauche, j’entends gronder son mono ! Papa tente, sans succès pendant un temps, de me reprendre la seconde place. Mais sa persévérance finit par payer, quand saute mon troisième rapport à l’évidence mal verrouillé juste en sortie de la porte de Mons. Je perds une fraction de seconde dans l’action, ce qui lui suffit pour plonger vers l’intérieur, et franchir la ligne d’arrivée avec cent quatre-vingt-onze centièmes d’avance. Quel dommage… Mais quelle course ! La suite ? Un apéro, de la mécanique, et des amis.
Voilà, en résumé, mes "Chimay Classic Bikes" 2018, la manière dont j’ai vécu ce que certains qualifieraient d’aventure. Au final, tout ça pour quoi ? Pas grand-chose, me direz-vous : quelques tours de piste, quelques litres d’hydrocarbure brûlés, quelques camarades au chevet d’un cylindre serré, quelques morceaux de blues et de jazz le soir autour du barbecue… Et un trophée en plastique. Mais pour moi, reste surtout le souvenir de virages enfilés plein gaz avec mon paternel, le film d’une mémorable bourre père-fils. Et finalement, c’est déjà beaucoup, n’est-ce pas ? »
Ben ça vaut le coup de lire…
Belle plume, belles machines, on s’y croirait !
Merci.
C’est certain, on est au guidon !
Superbe texte, bravo, belle bataille père-fils, que de bons moments.
Merci de relayer, de faire vivre ces moments assez forts en émotions…
Car ce n’est pas si facile d’en parler.
Longue vie à vous !