Estampillée MCNC, cette remarquable Moto Guzzi 850 T3 cafe-racer est le fruit d’un travail énorme, auquel je me devais évidemment de rendre un copieux hommage…
Attention ; chef-d’œuvre ! Loin de la mode du tuning faisant la part belle aux pièces adaptables made in China, Nicolas est un de ces artisans passionnés qui fabriquent tout ou presque ce qui est nécessaire à leurs projets. Et je pèse mes mots. Ceci se passe dans son atelier baptisé MCNC, pour « Motocyclettes Certifiées Non Conformes ». Un parti pris qui ne manque pas de déclencher mon sarcasmomètre ! Comme j’aime. A l’heure où les débats vont bon train entre soumis et opposants au CT… Passons. Voici donc « La Macchina », l’exceptionnelle Moto Guzzi 850 T3 cafe-racer de notre camarade.
« Tout est parti d’une California de 1978, dans son jus. Cylindres ronds et jantes à rayons, c’est ce que je voulais ! L’entretien n’avait pas été scrupuleusement assuré par son dernier propriétaire… Situation fréquente des véhicules rustiques et fiables, qu’on a tendance à négliger parce qu’on finit par les penser indestructibles. Néanmoins rien de grave ici, puisque j’avais naturellement l’intention de la désosser entièrement pour passer le moindre boulon en revue. »
Tandis que le gros des éléments d’origine poursuivait son destin sur le marché de l’occasion, l’idée d’une bécane racée commençait à s’esquisser sur le papier.
« Au même titre que la mécanique, ou la sculpture… Le dessin est un de mes centres d’intérêt. Aussi avant de faire des étincelles et des copeaux, mes réalisations débutent généralement par quelques coups de crayon sur un carnet de croquis. Quant au nom que j’ai donné à celle-ci, il évoque dans mon esprit les machines d’antan fuselées de métal, comme les anciens avions de guerre ou les locomotives de l’ère streamline, des engins impressionnants. »
Perso ce qui m’impressionne, c’est le boulot abattu ici, sur cette Moto Guzzi 850 T3 cafe-racer. Par où commencer d’ailleurs ? Peut-être par le premier des composants tournés par son créateur : les cornets d’admission incluant des filtres à air. Ou bien par le dernier en date, alors : les silencieux d’échappement élaborés de toute pièce. Franchement, on ne sait plus où donner de la tête ! Même le feu et le phare, modernes, ou encore le commodo rétroéclairé, qui permet d’en allumer les LED, sont pour ainsi dire entièrement faits maison… Je continue ?
L’habillage du compte-tours Daytona ; les pattes supportant les étriers Brembo ; la poulie de synchro des carbus marquée comme eux Dell’Orto ; le boîtier de reniflard planqué juste au-dessus ; les commandes reculées évoquant une fameuse aile ; le récepteur d’embrayage hydraulique ; les caches d’alternateur et de bobines, et celui d’allumage affichant le logo Magneti Marelli… J’en oublie ! Et sans doute Nicolas aussi, tant un pareil inventaire vous expose au tournis. Je m’allonge une minute afin de récupérer un peu (en vrai je me sers une bière roborative), le temps qu’il vous détaille les suspensions.
« Les tés de fourche sont d’abord taillés dans la masse (grâce à ma petite fraiseuse à commande numérique), puis usinés de façon plus traditionnelle, avant d’être fignolés à la main. Pour les alésages précis je mise sur ma bonne vieille Vernier FV 300 de 1976 ; un bijou de 2,6 tonnes ! Le raidisseur, lui, est en premier lieu le fruit d’une opération de fonderie. En gros je développe un prototype via mon imprimante 3D, pour concevoir ensuite un moule en sable. »
A ce stade, il ne reste plus qu’à couler de l’alu liquide, fondu dans un creuset. Facile, nan ? Hum ! Et encore, attendez qu’il vous explique le mono-amorto à l’arrière…
« Je ne voulais pas me contenter d’un simple montage dit Cantilever, trop classique… Aussi j’ai imaginé transmettre le mouvement du bras oscillant par le biais d’un basculeur. Cette fois c’est lui qui fut taillé dans la masse. Tandis que son imposant support (lequel relie également le moteur à la boite) a requis un second moule en sable. Enfin des douilles à aiguilles assurent le pivot pour une parfaite douceur de fonctionnement. »
Les tirants combinent âme en aluminium et enveloppe en carbone, ces matériaux ayant leurs avantages respectifs nous dit-il : le premier résistant à la compression, le second à la flexion. Très rigides, donc, ils permettent en plus de régler l’assiette, à la faveur de leurs douilles taraudées en pas inverses. Notre camarade pense à tout ! Même et surtout à calculer (en s’aidant de logiciels auxquels j’avoue ne rien connaître) les contraintes attendues, ces dernières ne devant pas excéder la tolérance de son alliage aéronautique (7075). Je vous ai dit qu’il était concepteur CAO de métier ?
Mais venons-en à l’amortisseur, oléopneumatique. De marque Fournales, haut de gamme, il a fallu le modifier pour qu’il puisse fonctionner à l’horizontale. En clair, un piston sur mesure a été ajouté, afin que l’huile et l’air ne se rencontrent, ne virent à l’émulsion. Problème : introduire ce volume incompressible à l’intérieur réduit fatalement la taille de la chambre ; et donc la progressivité que celle-ci procure à la base. Solution : l’espace perdu peut être déporté dans une bonbonne séparée ; encore un élément 100% homemade sur cette Moto Guzzi 850 T3 cafe-racer !
« Je trouvais intéressant d’en rendre variable la capacité. C’est pourquoi elle pivote sous la selle, pour être accessible lorsqu’on souhaite intervenir sur son réglage. Ca ne parait sans doute pas… Cependant si on inclut les sept joints toriques et la visserie retouchée, on obtient quand même un puzzle de pas moins de vingt-trois pièces ! Pour autant, désireux de pouvoir contrôler la charge obtenue, je ne me suis pas arrêté là. »
Voilà qui fait allusion à l’une des platines que l’on aperçoit, de part et d’autre, juste sous le réservoir. Quasi symétriques à première vue, elle jouent toutefois des rôles très différents.
« A droite, j’ai adapté le manomètre d’un extincteur, et une commande permettant de maîtriser la pression. A gauche, un simple coupe-contact, mais épaulé par un antidémarrage exploitant une prise jack détournée. Une fois les deux activés, il ne reste plus qu’à enfoncer le bouton situé au sommet de la colonne de direction, pour entendre s’ébrouer le colossal v-twin. Enfin, par endroits j’ai opté pour des inserts en carbone, ailleurs pour de la peinture vermiculée de chez VHT. »
Le contraste ainsi obtenu fait ressortir la vertigineuse quantité de logos et lettrages personnalisés. Et de mon point de vue, le nombre de ces derniers témoigne de l’effort investi dans ce pharaonique dessein, lequel aura occupé Nicolas plus de trois ans ! Influencée par l’iconique XT 500 je suppose, la déco quant à elle sublime la carrosserie formée par notre camarade. Il a appris sur le tas, c’est le cas de le dire : le maillet et le sac de sable, la roue anglaise et le soudage TIG… C’est qu’il ne suffit pas d’habiller l’ébauche en polystyrène extrudé, encore faut-il que le bidon obtenu soit étanche !
J’en viens à la colonne vertébrale de tout ça : le châssis, mis en valeur par une peinture époxy rouge vif. Son bâti arrière a été supprimé, son bras oscillant modifié pour accepter une jante plus large (une Borrani à profil en H chaussée d’un pneu de 130 mm désormais), et son double berceau pourvu d’une béquille sortie de chez Triumph. Néanmoins, ce qui saute aux yeux ce sont bien sûr les montants inclinés. En effet, leur forme ronde d’origine disparaît ici derrière une enveloppe elliptique, accentuant visuellement la rigidité et le dynamisme légendaires du cadre Tonti.
« Je souhaitais souligner cette architecture typique. Mission accomplie ? Quoi qu’il en soit les profilés sont en tôle d’acier, roulés, fraisés-rainurés à mi-chair pour pouvoir être pliés, soudés et puis poncés, jusqu’à obtenir la finition désirée sans utiliser le moindre gramme de mastic. J’espère le résultat digne de la mention « EDIZIONE SPECIALE CENTENARIO 1921 – 2021″, de rendre hommage aux cent ans de la firme native de Mandello del Lario. »
Les experts ont parlé ! Puisque sa machine a décroché le premier prix du Café Racer Festival d’alors, et par conséquent le droit de s’élancer sur le mythique circuit de Linas-Montlhéry.
« Ce baptême sur la piste de l’autodrome restera à jamais gravé dans ma mémoire. Au départ, tous mes sens étaient en alerte. Une bécane restée si longtemps sur l’établi, pour être à ce point modifiée… Il y a toujours le risque d’avoir négligé quelque chose. C’est pourquoi je guettais le moindre bruit suspect, le moindre tremblement indésirable. Mais en fait de vibrations il n’y avait que celles de ce moteur exceptionnel, si particulier. »
Essai validé, donc, pour cet engin hors du commun, cette Moto Guzzi 850 T3 cafe-racer signée MCNC. Ceci fait notre camarade pouvait finalement se détendre, et enfiler ses espadrilles non homologuées CE. Bah oui, je vous rappelle que son truc, ce sont les « Motocyclettes Certifiées Non Conformes » ! Alors autant avoir la tenue qui va avec. Blague à part, entre l’ampleur de la tâche, et le soin apporté, le savoir-faire mis en œuvre, et le parti pris esthétique… Tout ici force le respect. Et le coup de cœur que j’ai pu avoir en découvrant ce cafra en 2021 reste clairement d’actualité.
A vous de chavirer, maintenant, en admirant les précieuses photos que l’on doit à Albin Carriere (celle à la une à Jean-Francois Muguet). Toutefois si ce sont des images des travaux que vous recherchez, vous en trouverez notamment sur le compte Instagram de M. Nicolas Baux, l’artisan hors pair de cette réalisation. N’hésitez pas à le solliciter pour vos propres projets !
Superbe !
Magnifique, cette Guzzi, et quel taf !
Cet article lui rend bien hommage, bravo.
C’est juste magnifique ; un vrai chef-d’œuvre.
Très, très loin du T3 que j’utilisais pour faire la navette entre Londres et Paris, et voir ma copine dans les années 80.
Tout est bon, les petits détails sont juste incroyables.
Et quasi tout fait main ; bah chapeau mon gars !