Il n’y en a pas deux comme celle-ci à Port-de-bouc, ni même dans le monde d’ailleurs… Voici la Aprilia SL 1000 Falco de Mathieu, la plume qui exsude « Les échos d’un trou à rats ».
Sans doute prêtez-vous l’oreille aux digressions qu’il délivre via sa page Facebook. Peut-être gardez-vous en mémoire sa chronique publiée dans Moto Journal. Possiblement avez-vous feuilleté les pages de son premier roman, « Les colibris des arbres à cames ». Mais connaissez-vous ce post sur le forum « Aprilia V60 », à travers lequel notre camarade relate, avec son style bien à lui, son projet de restauration et de personnalisation d’une Aprilia SL 1000 Falco ? Pour ma part je l’ai découvert ces jours-ci. Et bien que la majorité des photos qui illustraient ce récit ont disparu avec le temps, je n’ai pas pu m’empêcher de le parcourir du début à la fin. Il faut dire que ce fut un cas d’école, une incroyable succession de galères qui de loin ressemble à l’Enfer. Mais ce cauchemar bien réel Mathieu l’a vécu, et de mon point de vue, c’est presque un miracle si en définitive cette bécane roule, et fait même tourner des têtes.
L’histoire débute à l’automne 2014, et s’achève pour ainsi dire cinq ans plus tard. Durant cette période, les membres du site concerné ont suivi avec beaucoup d’intérêt (plus de 110 000 vues !) l’enchaînement de ses tracas avec la partie cycle, de ses soucis mécaniques, de ses emmerdes électriques… Sans parler de ses embrouilles avec la pègre locale, comme la fois où il s’est retrouvé, sans succès, à poursuivre en Express swapé R19 TD des manouches fuyant vers Marseille. Dès les premières semaines le ton prend la tournure que l’on connait. Métaphores et punchlines enrichissent les comptes-rendus, s’invitent au milieu des questions techniques. Et quelquefois on sent la motivation qui flanche. Il y a de quoi ! Alors le temps que l’artiste retrouve ses forces, que ses idées se remettent en place, l’ouvrage hiberne sous un vieux drap Guns N’ Roses. Chez beaucoup il serait encore dans le coma…
Surtout que des gamelles se sont également imposées sur le parcours, et pas des petites ! Par deux fois au moins cet engin démoniaque a bien failli lui offrir un trajet sans retour pour le Paradis. D’abord c’est le capteur de béquille qui coupe l’allumage en pleine courbe rapide, entraînant son éjection dans les graviers entre deux rails de sécurité. Ensuite c’est le pignon de sortie de boite qui quitte son axe pour venir s’encastrer dans le carter, provoquant un blocage soudain de la roue arrière. J’appelle ça rouler avec « un pneu dans la tombe », littéralement ! N’empêche qu’au bout du compte, le résultat est là, et la malédiction, elle, battue. « Notre cause vaincra » ; qu’il répète à l’envi. Méthode Coué ? Je ne sais pas. Ce que je vois, c’est que son Aprilia SL 1000 Falco a bel et bien muté. Elle brille. Elle râle. Elle enquille. Elle emballe. Entendez que la métamorphose n’est pas qu’esthétique, loin de là.
« Elle avait montré ses limites, à l’issue d’une journée de piste, et un état de santé préoccupant. Pompage excessif de l’arrière, fourche emboutie, disques voilés, jante avant avec un beau plat suite à un carton en 2012… Et j’en passe. Pas mal de problèmes après quatorze ans et demi, 80 000 km, et un entretien globalement suivi mais trop laxiste concernant la partie cycle. Et puis j’avais relevé un défaut de compression : huit pour le cylindre arrière, dix pour l’avant. Et cela se traduisait par une consommation d’huile conséquente et des perfs en retrait. Le v-twin Rotax était pour ainsi dire à l’agonie… Aussi j’ai décidé de tout reprendre, et pas comme un chapacan, car à la fin j’envisageai de l’inscrire à une course de côte pour un jour raconter ça à mes enfants. »
Il s’impose en effet au départ un ordre de bataille quasi militaire, et projette de prendre le temps de tout. De réfléchir, de se documenter, d’apprendre, de s’équiper, d’essayer, de développer… Et de trouver des sous-traitants qualifiés, éventuellement, pour des besoins très spécifiques. Cette recherche lui vaudra de bonnes comme de mauvaises surprises, certains pros ne méritant pas forcément l’étiquette qu’ils osent revendiquer. C’est une chance que Mathieu effectue lui-même l’immense majorité des travaux, de rénovation et d’adaptation. Des roulements rincés aux étriers grippés, de l’embrayage exsangue aux segments incontinents… Chaque plaie infligée par le temps a été pansée, cette fois rien n’a été négligé. Pas même l’esthétique de l’engin, notre camarade ayant pu mettre à profit son BTS en design d’objet pour esquisser le look espéré.
« Ca me change de chez ArcelorMittal, où je serre pas mal de boulons mais dessine que dalle… »
Train arrière de RSV, train avant mixant des pièces de XB12S et de SL 1000 Falco, bulle Kawasaki sur carénage Aprilia perforé d’un phare futuriste, selle de CBR 1000 retravaillée sur bâti arrière maison, passage de roue sur mesure en tôles légères… S’il n’y avait pas ce châssis original, cette double poutre en alu-magnésium caractéristique, on aurait sans doute un peu de mal à identifier le modèle de base malgré la peinture rouge candy retenue. Son fameux disque périmétrique étant d’origine sujet à la surchauffe, l’étrier six pistons du frein avant a reçu une imposante écope de refroidissement inspirée par ce que Buell avait mis au point pour la piste. Comme l’arrière il est alimenté par une durite tressée. Le faisceau a été simplifié, et une batterie au lithium se charge de l’alimenter. Au final, un poids certain a pu être éliminé, du côté des masses non suspendues notamment. Aujourd’hui l’ensemble pèse à peine deux cents kilos en ordre de marche ; un régime comme j’aime !
« Pour le moteur que j’avais de côté, je ne voulais utiliser que de la pièce d’origine ou sur mesure, pas d’accessoires prétendument racing mais susceptibles de nuire à la fiabilité de la mécanique. De toute façon mon budget n’incitait pas à la surenchère dans ce domaine… »
Cette fois Mathieu ne verse donc pas dans la fantaisie, et préfère, pour gratter quelques canassons en route, se fier aux améliorations successivement offertes au bicylindre autrichien durant sa carrière. De toute façon il ne recherche pas la puissance absolue, mais plutôt le supplément de couple qui procure des sensations, voire un bon coup de pied au cul ! Sont alors préparées et installées des culasses RSV de seconde génération, celles avec les grosses soupapes et les arbres à cames pointus. La transmission est raccourcie, la boite à air ouverte, l’admission retravaillée… Barnett fournit l’embrayage, et GMP la puce de cartographie optimisée. Surtout notre camarade fabrique de toute pièce un échappement atypique, une sorte de caisson qui prend place sous le bloc de sa Aprilia SL 1000 Falco. A l’arrivée ce V60 voit son centre de gravité abaissé, et doit délivrer quelque chose comme cent-trente chevaux.
Restomod ? Custom ? Bolidage ? Je ne sais pas comment les mecs qui suivaient son projet qualifient le résultat. Mais via le forum évoqué en intro, certains ont en tout cas découvert des trucs et astuces parfois inattendus : usiner des têtes de vis en forme de mini-pistons, retaper des carénages explosés avec une potion Lego-acétone, extraire des roulements à l’aide d’un bouchon en bois chipé au drain d’un bateau à la retraite… Article 22 : démerde-toi comme tu peux ! Sans s’y attendre il y a un an, ils ont surtout pris en pleine poire le teaser de son bouquin « Les colibris des arbres à cames », une vidéo qui fait l’effet d’un retour de kick, et dévoile sa bécane ainsi que quelques-uns des détails que je décrivais. Et en parlant de son fameux livre… Il ressort cette année plus épais d’une bonne quarantaine de pages, enrichi d’une préface et plus encore d’une face B !
« J’ai ajouté une sorte de passerelle vers le second tome de ce qui sera en réalité une trilogie. J’ai baptisé cet addenda "Cortisone", il offre la visite d’une galerie de sept personnages cramés par la vie. »
Cet ouvrage réédité, on l’aperçoit dans les inquiétantes images qu’il m’a dernièrement transmises, lesquelles clôturent cet article. Prises par L’Oeil 2 Loizeau, elles forment une sorte de roman-photo muet. Mais les images parlent d’elles-mêmes et suggèrent que le reporter s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. A ce stade aucune nouvelle n’a été donnée, aucune demande de rançon n’a à ma connaissance été formulée…
P.S.: Pour ceux qui découvriraient Mathieu, outre ses excursus sur "Les échos d’un trou à rats", vous pouvez parcourir ses articles parus sur UPDLT.